
Source : Glouzilet News Edition -- (Agence GLOUZILET) Date : 17-03-2025 19:43:55 -- N°: 4 -- envoyer à un ami
Le continent africain est devenu, depuis une vingtaine d’années, un nouvel eldorado pour les Investisseurs Étrangers ceci grâce aux nombreuses possibilités offertes et à sa forte croissance économique, 5 % en moyenne chaque année depuis 2000. Dans son nouveau livre, « L’Urgence africaine » (éd. Odile Jacob), Kako Nubukpo , plaide pour un changement radical du modèle de croissance en Afrique. Agriculture, fiscalité, numérique, écologie, cet essai documenté de Kako Nabukpo, passe en revue les solutions africaines adaptées aux défis du continent.
L’économiste togolais engagé, tord aussi le cou au discours afroptimiste sur l’émergence et dresse un bilan économique général calamiteux des pays africains. Il rappelle que malgré des taux de croissances moyens de 5 %, l’Afrique subsaharienne (notamment au niveau de la CDEAO), est la seule région du monde où la population est extrêmement pauvre. Selon la Banque Mondiale, cette population vivant avec moins de 1,90 $ US [1] par jours, a doublé en cinquante ans sur le continent.
Kako Nubukpo explique d’ailleurs cette pauvreté par le maintien de l’Afrique dans un modèle économique qu’il qualifie « d’esclavage colonial [2] ». Pour lui, les pays du continent restent intégrés, plus de soixante ans après les indépendances, dans un système économique hérité de la colonisation qui les poussent à produire des matières premières, puis à les exporter sans les transformer vers les anciennes puissances coloniales. En revanche, ajoute-t-il, ces États importent, du reste du monde, des produits transformés et c’est un modèle de croissance mortifère, car, c’est dans la transformation des matières premières qu’on crée des emplois, de la valeur ajoutée et donc des revenus. Ce modèle pousse la jeunesse africaine à migrer vers l’Occident, d’où les nombreux morts quotidiennes dans la méditerrané.
L’économie coloniale a instauré de fait, une dépendance structurelle des économies des territoires conquis à l’égard de l’économie métropolitaine. Cet argument a été martelé par les économistes de la dépendance dès les années 1970. Les politiques de monoculture adaptée à chaque territoire se sont faites aux dépens de la production vivrière. Ainsi, une des plus frappantes caractéristiques des économies coloniales est leur grande extraversion et spécialisation agricole [3] . Cette structure économique s’est avérée très longue à modifier, du fait de la nature des équipements réalisés au niveau des sols et au niveau des infrastructures de transport.
Le concept de l’extraversion et de spécialisation des économies des pays africains, hérité de la colonisation est un débat qui reste d’actualité. Il faut noter qu’aujourd’hui, l a spécialisation internationale consiste pour un pays à renoncer volontairement à certaines productions et à en privilégier d’autres de manière à se construire un avantage comparatif durable. Ainsi, on admet que l’évolution d’une nation dépend de sa capacité à échanger et à se spécialiser dans les secteurs où elle est mieux dotée que d’autres.
Systématisé par Smith et Ricardo, ce postulat sous-entend que l’échange international constitue un facteur dynamique de la croissance [4] . Or, dans le cas des pays d’Afrique centrale, on s’aperçoit que l’économie est, substantiellement, axée sur la production des biens primaires. De sorte qu’il est clairement établi que la faiblesse principale de l’économie de l’Afrique de l’ouest tient au fait que c’est une « économie de rente », marquée par des défaillances réelles au niveau de la spécialisation ou de l’investissement intérieur. Elle est dans l’ensemble, polarisée sur les exportations des produits de base, en l’occurrence le pétrole qui crée des déséquilibres verticaux dans la sous-région. Ainsi, l’attrait de la manne pétrolière est tel que les États d’Afrique de l’ouest, par exemple, se livrent à une véritable guerre fiscale pour séduire les grandes compagnies étrangères.
Ces pays, en concentrant leurs efforts sur l’exportation des produits de base dont la valeur représente une faible élasticité des prix et des revenus par rapport à la demande, mettent leurs économies en état de déséquilibre réel, puisque la baisse des prix de ces produits, résultant de l’augmentation de l’offre, n’entraine pas forcément une augmentation de la demande dont la variation dépend en grande partie, de la croissance du revenu mondial [5] . Selon l’OMC, ce phénomène de distorsion réelle entre l’offre et la demande des produits primaires apparait plus significatif en période de ralentissement de l’économie mondiale, notamment, au niveau des échanges commerciaux [6] . Ce qui accroit leur impact sur les termes de l’échange.
1.2. 3.2 La théorie de la « croissance appauvrissante ».
La croissance économique des pays participants aux échanges mondiaux n’est pas indépendante du Commerce International et cette interdépendance passe par les termes de l’échange [7] . Considérons un grand pays avec un degré d’ouverture important : sa capacité de production est suffisamment élevée pour qu’il soit capable d’exercer une influence significative sur l’offre mondiale du bien pour lequel il a un avantage comparatif favorisé par un progrès technologique. Dès lors, la hausse de l’offre d’exportation du pays réduit le prix du bien sur le marché mondial.
Si le prix du bien exporté ne varie pas, le pays subit une dégradation de ses termes de l’échange. Du fait de cette dégradation, ce pays ne profite plus de l’intégralité des gains tirés de la croissance des volumes exportés. Autrement dit, le pays produit plus mais gagne moins. En fin de compte, il s’appauvrit et c’est malheureusement le cas de la plupart des pays africains au sud du Sahara qui ont eu en moyenne une croissance de 3,7 % en 2021.
C’est l'économiste indo-américain Jagdish Bhagwati qui écrit pour la première fois en 1958, un article de recherche dans lequel il montre que la croissance de la production induite par l’ouverture au Commerce International pouvait se révéler appauvrissante pour le pays accroissant ses exportations de matière premières.
Il parle alors de « croissance appauvrissante » : La hausse de la production et sa vente à l'international entraîne une dégradation des termes de l’échange sur les marchés mondiaux. Ce qui provoque justement une perte de revenu que la hausse du volume des ventes ne parvient pas à compenser. Le pays se retrouve à produire plus et gagner moins.
Jagdish Bhagwati montre dans son travail de recherche, la possibilité d’une croissance paradoxalement appauvrissante dans les pays assez grands comme la Chine, l’Inde et le Brésil, pour que les variations de leurs volumes d’exportations aient un impact sur les prix mondiaux.
Dans la forme, cette théorie de la « croissance appauvrissante » peut expliquer en partie la situation économique des pays africains notamment subsahariens qui exportent pour la plupart, des produits agricoles de base et des matières premières minérales. Leurs systèmes agricoles comme signalé plus haut, hérités de la colonisation et fortement spécialisés, dépendent essentiellement du cours des matières premières sur le marché international. La « croissance appauvrissante » des pays africains s’explique aussi dans la littérature par un « déterminisme historique [8] » des modes de colonisation française et anglaise qui vient justifier une certaine typologie.
1.2. 3.3. La théorie du déterminisme historique .
Il est courant d’entendre dire que les pays anglophones enregistrent de meilleures croissances économiques que les pays francophones. Cette question n’a pas directement fait l’objet de travaux de recherche. Cependant, certaines études se sont intéressées au rôle de l’identité de l’ancienne puissance coloniale sur la croissance économique au travers du fonctionnement des systèmes juridiques [9] pour conclure que la tradition de droit commun, anglo-saxonne (common law [10] ) serait plus efficace que la tradition de droit civil française (civil law [11] ). Selon ces travaux de recherches, le système légal anglo-saxon permettrait une meilleure protection des droits de propriété et accorderait une attention plus fine aux droits des actionnaires d’une entreprise, suscitant un mode de gouvernance des entreprises plus efficace. Dans le même ordre d’idées, Gérard Hirigoyen et Thierry Poulain-Rehm [12] ont fait une analyse comparative internationale de la qualité de la gouvernance des entreprises, dans quatre de ses dimensions : L’équilibre des pouvoirs et l’efficacité du conseil d’administration ; l’audit et les mécanismes de contrôle ; l’engagement envers les actionnaires et la structure de l’actionnariat ; la détermination de la rémunération des principaux dirigeants. Elle cherche à déterminer, en particulier, si l’appartenance à un modèle de gouvernance, parmi les trois identifiés, anglo-saxon, européen continental, asiatique, exerce une influence sur les scores de gouvernance des entreprises, tels qu’attribués par l’agence de notation sociétale Vigeo [13] .
L’étude, qui s’appuie sur un échantillon de 434 sociétés cotées dont les scores ont été relevés sur la période 2010-2014, repose sur des tests bivariés et des régressions logit [14] . Les résultats de cette étude mettent en relief une supériorité nette, des entreprises anglo-saxonnes en matière de gouvernance, dans les différentes dimensions qui la constituent, non seulement sur les entreprises d’Europe continentale mais aussi sur les sociétés asiatiques dont les scores de gouvernance sont très largement inférieurs.
[1] Le seuil de 1,90 dollar par jour, qui rend compte d’une situation d’extrême pauvreté, est calculé à partir des seuils de pauvreté nationaux des 15 pays les plus pauvres de la planète. Il correspond au minimum de ressources dont une personne a besoin pour se nourrir, s'habiller et se loger dans ces pays. Le Groupe de la Banque mondiale et la communauté internationale ont adopté ce seuil afin que l’aide se concentre de toute urgence sur les plus pauvres et de sorte à disposer d'une mesure stable permettant d’évaluer les progrès réalisés dans les différents pays.
[4] David Ricardo prolonge l'analyse des avantages absolus d’Adam Smith, comme fondement du libre-échange . Pour Smith, chaque pays a intérêt à se spécialiser dans la production pour laquelle il rencontre un avantage absolu, par rapport à ce que produisent les concurrents. David Ricardo montre que le commerce peut également être avantageux entre deux pays même si l'un des deux dispose de coûts de production plus faibles pour tous les biens. C’est la théorie des avantages comparatifs .
[5] Ngangoue François, « Planifier et organiser la diversification économique en Afrique centrale », Revue Congolaise de Gestion, 2016/1-2 (Numéro 21 - 22), p. 45-87. DOI : 10.3917/rcg.021.0045. URL : https://w…
[6] OMC, Organisation Mondiale du Commerce. Rapport 2021 publié le 30 juillet. « L’Examen statistique du commerce mondial ». Chapitre 3. Le rapport annuel souligne que la valeur des exportations mondiales de marchandises a diminué de 8% tandis que le commerce des services s'est contracté de 21% en 2020, les impacts les plus graves de la pandémie ayant été ressentis au deuxième trimestre de l'année2021.
[7] La dégradation des termes de l'échange est une thèse économique selon laquelle le prix des produits agricoles, souvent vendus par les pays les moins avancés, baisse inéluctablement face aux prix des biens manufacturés. Au xx e siècle, cette dégradation serait devenue de plus en plus défavorable aux pays « du Sud » notamment africains.
[8] Le déterminisme historique est un concept de la philosophie de l'histoire reposant sur le déterminisme qui place le principe de causalité d'un évènement avant celui-ci, contrairement au finalisme qui le place après, ou au volontarisme qui le place dans l'action volontaire consciente.
[9] Rafael La Porta, Florencio Lopez-de-Silanes et Andrei Shleifer « Les conséquences économiques des origines juridiques ». Dans Revue de littérature économique. Vol. 46, n° 2 juin 2008, pp. 285-332 (48 pages) Publié par : American Economic Association. http://ww… .
[10] Le « common law » est désigné comme étant un système légal dans lequel les juges ont une relative indépendance, les jurés ont un rôle central ainsi que la jurisprudence ; ce système s’appuie sur des principes légaux assez larges comme la confiance pour la résolution de conflits.
[11] Le « civil law » au contraire est un système dans lequel les juges sont des fonctionnaires de l’Etat, où le droit écrit prime sur la jurisprudence et qui s’appuie sur un contrôle et une surveillance étendus des décisions légales par un système hiérarchique développé. Ce dernier système, hérité de la loi romaine, a été incorporé dans les codes légaux en France et en Allemagne au début du 19ème siècle.
[12] Gérard Hirigoyen, Thierry Poulain-Rehm, « Approche comparative des modèles de gouvernance : Une étude empirique ». Revue Française de Gestion, Lavoisier, 2017, 43 (265), pp.107-129. ff10.3166/rfg.2017.00144ff. ffhal-02521878f
[13] Le groupe Vigeo Eiris est une agence de notation sociale et environnementale internationale fondée en 2002, spécialisée dans l'évaluation de type qualitatif des entreprises selon des critères sociaux et environnementaux et suivant un cahier des charges lié au développement durable, en utilisant une forme de notation spécifique. Le groupe travaille à la création d'indices pour investisseurs. La gouvernance est située à Bagnolet et à Londres.
[14] Il est très rare qu’une variable soit totalement indépendante de son environnement. Chaque variable est liée à d’autres variables, voire même influencée par celles-ci. La statistique bivariée a pour but de mettre en relation deux informations différentes afin de vérifier si elles sont ou non liées. La mise en évidence d’un tel lien peut notamment servir à faire des prédictions sur la valeur prise par une variable en fonction de celle prise par une autre. Le modèle LOGIT : Il s'agit bien d'une « régression » car on veut montrer une relation de dépendance entre une variable à expliquer et une série de variables explicatives. Il s'agit d'une régression « logistique » car la loi de probabilité est modélisée à partir d'une loi logistique.
D’autres travaux de recherche ont souligné l’influence de l’identité de l’ancienne puissance colonisatrice sur le développement de l’école en Afrique. Dans les anciennes colonies britanniques, les populations avaient en effet un niveau d’instruction supérieur en 1960, par rapport aux colonies françaises. Le taux d’alphabétisation était en moyenne supérieur de 15 à 20 points dans les anciennes colonies britanniques en 1970 et ces écarts ont perduré [1] . En termes d’extension de l’instruction primaire, il semble que le système français d’éducation gratuite et laïque ait moins bien réussi que le système britannique fondé sur un partenariat entre les missionnaires et l’État.
Dans la lignée de ces travaux, Thomas Bossuroy et Denis Cogneau [2] ont étudié les mobilités intergénérationnelles ainsi qu’intra-générationnelle entre les secteurs agricoles et non agricoles dans cinq pays (Ghana, Ouganda, Côte-d’Ivoire, Guinée, Madagascar). Les deux anciennes colonies britanniques ressortent avec un niveau de fluidité sociale nettement plus élevé que les trois anciennes françaises.
D’autres travaux minimisent au contraire l’influence de l’identité de l’ancienne puissance coloniale et de l’héritage des systèmes légaux, et soulignent plutôt les différences entre colonisation de peuplement et colonisation d’exploitation. Dans les régions où les conditions sanitaires étaient mauvaises, rendant difficile l’installation des Européens, et dans les régions initialement riches en ressources naturelles, les politiques coloniales auraient mis en place des institutions d’extraction de la rente et des régimes de protection de la propriété privée défavorables à l’accumulation du capital [3] .
Les différences ne tiennent pas à l’identité même de l’ancienne puissance coloniale mais plutôt aux caractéristiques des régions colonisées. Or, il se trouve que les colons britanniques se sont plus souvent installés dans des régions à plus faible mortalité, ce qui expliquerait les corrélations constatées entre « Common law » et développement économique. Dans leur travail de recherche, Thomas Bossuroy et Denis Cogneau [4] , ont justement exploité les différences de taux de mortalité européens, pour estimer l'effet des institutions mises en place sur la performance économique des territoires colonisés. Dans les endroits où les Européens étaient confrontés à des taux de mortalité élevés, ils ne pouvaient pas s'installer et étaient plus susceptibles de créer des institutions d'extraction de rente.
Ces institutions ont persisté jusqu'à nos jours et expliquent en partie les inégalités de croissance entre les pays africains au sud du Sahara. Les pays anglophones sont plus dynamiques en termes de croissance économique que les pays francophones. Les chiffres indiquent que ceux qui sont hors de la zone franc sont plus dynamiques [5] . Les pays anglophones ont longtemps expérimenté une croissance de 6 à 7 %. Selon, le Fonds monétaire international (FMI), les pays de la Comesa [6] (marché commun de l’Afrique Orientale et Australe) ont enregistré une croissance régulièrement supérieure à 6 %, entre 2004 et 2015. En 2010 et 2011, d’ailleurs, leur taux de croissance a même atteint 7,1 et 7,9 %, hors produits pétroliers, souligne le FMI. Il convient de rappeler que sur 18 membres de la Comesa, seuls trois sont d’anciennes colonies françaises. Ce sont : La République Démocratique du Congo, les Comores et Madagascar.
Les pays de la zone franc enregistrent une croissance moyenne beaucoup plus faible, sur la même période 2004-2015. Ainsi, par exemple, on passe de 3,4 % en 2009 à 4,9 % en 2015, avec un pic de 6,1 % en 2012. Toujours selon les chiffres du FMI, le PIB global des pays anglophones, hors Afrique du Sud, pèse pour 48 % de la production subsaharienne, contre moins de 20 %, pour les francophones. Les pays anglophones ont de meilleurs indicateurs en matière de progrès social selon le classement Doing Business 2020 ( Cf Tableau N°2) .
Parmi les dix pays ayant le meilleur Indice de Développement Humain (IDH) du continent, seul le Gabon est un francophone d’Afrique subsaharienne avec 0,68, occupant la huitième place. Le Gabon est devancé par Maurice (0,78), Les Seychelles (0,77) et le Botswana (0,70), mais aussi par des pays d’Afrique du Nord, l’Algérie, la Libye, la Tunisie. Les pays de la zone franc (Afrique de l’ouest et du centre) sont les derniers. Le Niger, la République Centrafricaine et le Tchad ont un IDH compris entre 0,35 et 0,39 selon le classement du PNUD en 2015.
C es écarts de croissances économiques entre anglophones et francophones semblent refléter les performances plus volatiles de certains des pays les plus importants de la zone francophone. Pendant la première moitié des années 1990, cette zone a été pénalisée par les mauvais résultats en termes de croissance économique de la République Démocratique du Congo et du Cameroun.
À partir de 1995, la croissance moyenne des pays francophones reste plus proche de celle des pays anglophones, mais semble pâtir de plusieurs coups d’arrêt, en 2000, 2002, 2009 et 2011.
Ces reflux s’expliquent principalement par les résultats irréguliers en termes de croissance de la Côte-d’Ivoire (qui est, devant le Cameroun, la principale économie de la zone à la fin de la période), parfois couplés à une crise dans un autre pays de la zone (comme Madagascar en 2002 et 2009). En comparaison, les principales économies de la zone anglophone (Kenya, Tanzanie, Ghana, Botswana) se sont montrées plus résilientes au cours de la période.
En outre, les taux moyens cachent des différences sensibles entre les pays de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) et de la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), dont les résultats sont plus favorables, grâce aux ressources pétrolières plus importantes.
Ainsi, sur la base des travaux menés par la Ferdi [7] sur ce sujet, les différences en matière de croissance entre les deux zones demeurent controversées et il est difficile d’en tirer des conclusions robustes même en tenant compte du déterminisme géographique [8] .
1.2. 3.4. La théorie du déterminisme géographique.
Les opportunités économiques d’un pays sont déterminées par deux caractéristiques géographiques : sa dotation factorielle et sa localisation. Le lien entre la dotation en ressources naturelles d’un pays et sa croissance est bien couvert dans la littérature. La dotation en ressources naturelles influence les avantages comparatifs, et donc la structure productive, et par là même occasion l’exposition aux évolutions du prix des biens/matières premières sur les marchés internationaux [9] .
Comment cependant caractériser la dotation factorielle d’un pays ? Estimant que le capital humain et les ressources naturelles sont les deux facteurs de production les plus discriminants entre les économies (le capital physique étant jugé plus facile à accumuler), Adrian Wood et Joerg Mayer [10] classent les économies en fonction d’un ratio « terre/travail ».
Ces deux économistes concluent dans leur recherche que la dotation factorielle de l’Afrique, trop éloignée de celle de l’Asie de l’Est, empêchera l’Afrique de suivre une trajectoire de développement similaire, avec une transformation de la spécialisation vers les biens manufacturiers.
Les économistes du développement, Paul Collier et Stephen O’Connell refusent, quant à eux, de considérer les mesures de superficie par habitant comme un bon indice de la dotation en ressources naturelles d’un pays [11] . Pour eux, les terres désertiques d’un pays comme le Niger sont considérées comme un gage de ressources, tandis que la Guinée équatoriale est de facto disqualifiée du groupe des pays bien dotés. Afin de prendre en considération les caractéristiques des territoires (pluviométrie, qualité des sols, etc.), ces deux chercheurs optent pour une mesure de la part des rentes issues de l’exploitation des ressources naturelles dans le PIB. Par rente, Collier et O’Connell entendent la différence entre les cours mondiaux des biens de base et les prix de production.
La localisation d’un pays (notamment la question de son accès à la mer) est un autre facteur déterminant pour son potentiel économique, dans la mesure où l’enclavement est une barrière fondamentale à l’intégration commercial [12] . C’est particulièrement vrai en Afrique, où les modèles de gravité [13] tendent à suggérer que les déterminants du niveau des échanges commerciaux sont davantage liés à la situation géographique qu’aux politiques commerciales. Les É tats dits « sahéliens » par exemple, sont souvent identifiés comme enclavés. Dans une forme de stéréotype de l’espace marginalisé, une position continentale est un élément supplémentaire des difficultés économiques.
La continentalité anciennement centrale en Afrique de l’ouest, devient une situation périphérique, c’est à dire une fermeture ou une distance au Monde. Dans un espace ouest africain international par exemple, les pouvoirs politiques ont produit les instruments d’une circulation établissant la relation entre les espaces continentaux et l’hinterland [14] , devenus territoires d’ É tat et les interfaces littorales.
Au niveau mondial, l’enclavement ne touche qu’une part infime de la population totale (à peine plus de 1 %, sans prendre en compte l’Afrique). En Afrique, suite au découpage des frontières à la fin de la période coloniale, environ 35 % de la population vit dans un pays sans accès à la mer (Collier et O’Connell, 2008).
La plupart des études qui traitent de l’influence des facteurs géographiques sur le développement des pays, ont mis en évidence un lien négatif entre le niveau ou la croissance du revenu et l’enclavement. Adam Smith (1776) a énoncé que la géographie, et les institutions économiques, sont les deux éléments cruciaux pour la division du travail. Selon lui, la productivité dépend de la spécialisation, qui elle, dépend de l’étendue du marché. L’étendue du marché dépend à son tour du libre fonctionnement des marchés et des coûts de transport, ces derniers étant liés à l’enclavement. En conséquence, le développement sera plus rapide dans les régions côtières et à proximité des rivières navigables, dû en grande partie à des coûts de transport moins élevés.
La définition de l’enclavement peut sembler évidente, mais Collier et O’Connell soulignent que le concept recouvre des réalités diverses : La Suisse, par exemple est enclavée au sens strict du terme, mais proche de nombreux marchés comme ceux de la France et de l’Allemagne, si bien qu’un indicateur de proximité des marchés pourrait être plus pertinent.
Théoriquement, ces deux critères à savoir, l’enclavement et la protection des marchés, devraient permettre de faire émerger quatre catégories de pays [15] . Néanmoins selon ces deux chercheurs, la question de la localisation n’a guère d’importance pour un pays riche en ressources naturelles, les rentes générées permettant de pallier les coûts de transport supplémentaires. Dès lors, trois groupes sont finalement distingués : Les pays riches en ressources naturelles ; les pays pauvres en ressources mais avec accès à une côte (pays côtiers) ; les pays pauvres en ressources et sans accès à la mer, (pays enclavés comme le Niger et le Burkina Faso en Afrique de l’ouest).
En conclusion, au sein de la littérature que nous avons parcouru sur la croissance en Afrique, le débat le plus clivant oppose les travaux qui estiment que les opportunités de croissance d’un pays sont déterminées par sa géographie (climat, dotation en ressources naturelles, localisation), et ceux qui insistent sur l’influence de ses institutions (régime politique, système juridique). Les études économétriques sur la croissance africaine depuis 1960 reproduisent cette dichotomie, mettant tour à tour en lumière le rôle de facteurs géographiques et institutionnels.
En résumé, les typologies reflètent ce dualisme. La première compare les pays francophones et anglophones : elle renvoie notamment aux travaux sur l’importance des institutions issues de la période coloniale. La seconde, fondée sur des critères géographiques, distingue les économies en fonction de leurs dotation en ressources naturelles et leur accès (ou non) à une côte. En plus de ces deux découpages, il y a une autre classification multicritère inspirée de celle du FMI (États fragiles, pays à faible revenu, pays à revenu intermédiaire, pays exportateurs de pétrole). Elle groupe notamment les pays d’Afrique selon le critère de leur niveau de développement initial [16] (à savoir le PIB par habitant), pour permettre d’évaluer si une dynamique de divergence ou de convergence a opéré au sein du continent africain depuis 1990.
[1] Denis Cogneau, « Colonisation, School and Development in Africa. An empirical analysis ». Working Papers DT/2003/01, DIAL (Développement, Institutions et Mondialisation).
[2] Thomas Bossuroy et Denis Cogneau, Denis, « La mobilité sociale dans cinq pays africains (octobre 2013). Revue du revenu et de la richesse », vol. 59, pp. S84-S110, 2013, Disponible sur SSRN : https://ssrn.com/abstract=2320854 ou http://dx…
[3] Daron Acemoglu, Simon Johnson et James Alan Robinson. 2001. « Les origines coloniales du développement comparatif : une enquête empirique ». American Economic Review, 91 (5) : 1369-1401 .DOI : 10.1257/aer.91.5.1369
[4] Thomas Bossuroy est économiste principal à la Banque mondiale où il travaille principalement sur les filets de sécurité sociale et les programmes d'emploi pour les pauvres en Afrique de l'Ouest. . Denis Cogneau, lui, est Chargé de recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD) dans l'Unité de recherche DIAL (Développement, Institutions et Mondialisation).
[5] Yao Séraphin Prao, « La dimension monétaire du développement : une application à deux pays de l’ Union Economique et Monétaire Ouest Africaine ( UEMOA) : la Côte d'Ivoire et le Sénégal ». Thèse de Doctorat en Sciences économiques. Soutenue en 2009 à l'Université Pierre Mendès à Grenoble en France.
[6] La Comesa : Créé en 1981, le Marché commun de l’Afrique orientale et australe est composé de 21 États membres africains qui ont convenu de promouvoir l’intégration régionale par le commerce et le développement des ressources naturelles et humaines dans l’intérêt mutuel de toutes les populations de la région. États membres du Comesa : Burundi, Djibouti, Égypte, Érythrée, Eswatini, Éthiopie, Kenya, Libye, Madagascar, Malawi, Maurice, Ouganda, République démocratique du Congo, Rwanda, Seychelles, Somalie, Soudan, Tunisie, Union des Comores, Zambie et Zimbabwe
[7] Ferdi : La Fondation pour les études et recherches sur le développement international a été créée en 2003 à l’initiative du Centre d’études et de recherches sur le développement international (Cerdi), principal centre de recherches français dans le domaine. C’est un laboratoire d’idées dont la mission première est, sur la base de ses travaux de recherche, d'influencer le débat international sur les grandes questions de développement.
[8] Le déterminisme géographique, aussi appelé déterminisme climatique ou déterminisme environnemental, désigne l'hypothèse selon laquelle l’environnement physique et biologique d’une société influence le développement de celle-ci de manière directe ou indirecte.
[9] Collier Paul, « Les performances de l'Afrique sont-elles les conséquences de sa géographie ? », Économie & prévision , 2008/5 (n° 186), p. 11-22. DOI : 10.3917/ecop.186.0011. URL : https://w…
[10] Adrian Wood et Joerg Mayer « La structure des exportations de l'Afrique dans une perspective comparative » Cambridge Journal of Economics, 2001, vol. 25, numéro 3, 369-94.
[11] Paul Collier et Stephen O'Connell . (2008). « Opportunités et choix » . Économie politique de la croissance économique en Afrique, 1960-2000 . Tome 1, 76-136. DOI : 10.1017/CBO9780511492648.003
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[12] Jean Debrie, « De la continentalité à l’Etat enclavé : circulation et ouvertures littorales des territoires intérieurs de l’ouest africain ». Thèse de Doctorat en Géographie. Université du Havre, 2001. Français. fftel-00011321
[13] Le modèle de gravité : L'économie a longtemps été inspirée par la science physique. Les Classiques ont par exemple cherché en leur temps à identifier des lois universelles de l'économie. L'influence de la physique s'est perpétuée au sein de la discipline 1 . Walter Isard propose, en 1954 , une équation qui se fonde sur la loi de la gravitation. Il soutient que le commerce international entre deux pays est d'autant plus fort que ces deux pays ont une économie importante et qu'ils sont proches, et d'autant plus faibles que leur économie est faible et que les pays sont lointains
[14] L’hinterland : L'arrière-pays est l'aire d'attraction et de desserte continentale d'un port ou en termes économiques son aire de marché continentale. Son extension est fonction de l'avant-pays (foreland) du port, des qualités et de la densité des réseaux de dessertes terrestres, de la qualité de ses services portuaires ou aéroportuaires. C’est le géographe français André Vigarié qui a proposé, dans les années 1960, la notion de tryptique arrière-pays, avant-pays et port en position d’interface physique et organisationnelle.
[15] Jacques Brasseul, Cécile Lavrard-Meyer, « Chapitre 2. Les causes du sous-développement ». Dans : Économie du développement. Les enjeux d'un développement à visage humain ». Paris, Armand Colin, « U », 2016, p. 54-101. DOI : 10.3917/arco.brass.2016.03.0054. URL : https://w…
[16] Vergne Clémence, Ausseur Antoine, « La croissance de l’Afrique subsaharienne : diversité des trajectoires et des processus de transformation structurelle », Dans : La croissance de l’Afrique subsaharienne : diversité des trajectoires et des processus de transformation structurelle. Paris Cedex 12, Agence française de développement, « MacroDev », 2015, p. 1-50. URL : https://w…